L’ancien et le moderne

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L’ancien et le moderne

Entretien avec Jordi Savall

En 2022, Jordi Savall enregistrait Don Juan et Sémiramis de Gluck, conférant à ces deux ballets décisifs dans l’histoire de la danse autant de fougueuse énergie que de subtiles nuances. Aujourd’hui, nouvelle expression du fidèle compagnonnage entre cet immense maître de la musique ancienne et notre maison, le Concert des Nations et le Ballet du Capitole joignent leurs talents pour redonner vie au mouvement dansé qui irrigue fondamentalement la musique de ces deux chefs-d’œuvre.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans la musique des ballets de Gluck ?

Je connaissais Don Juan et Sémiramis depuis longtemps et j’ai voulu les enregistrer, d’autant que la combinaison entre les deux œuvres fonctionne à merveille. D’une part, c’est une musique extraordinaire, qui est comme un pont entre le baroque et le classicisme ; or dans mon travail, je suis toujours attentif aux dynamiques réformatrices entre les styles et les époques. J’avais par exemple enregistré les suites de danse de Jean- Féry Rebel, qui fut un peu le Gasparo Angiolini français, un grand réformateur de la danse ! D’autre part, cette musique est tout entière tendue vers sa fonction narrative et chorégraphique : vous le savez, c’est une réforme importante, cette naissance du ballet d’action, avec une vraie dramaturgie, quand le ballet s’était cantonné si longtemps à une fonction de divertissement de cour. Mais au-delà même de cette innovation, il faut souligner que c’est une musique foncièrement dramatique, capable de raconter – comme l’opéra, mais sans texte ! – toute une histoire jusque dans ses moindres détails. Et quelles histoires ! Dans le cas de Don Juan, la référence principale est le chef-d’œuvre de Molière, mais le ballet regarde également vers la source espagnole, la pièce de Tirso de Molina. Ce qui d’ailleurs incite Gluck à s’inspirer des danses de l’Espagne baroque – un répertoire que j’ai beaucoup pratiqué, et dont la réminiscence chez Gluck me fascine. Je parlais de pont entre baroque et classicisme, mais c’est très concret dans cette musique : d’un côté la référence aux danses baroques, de l’autre une inspiration pour Mozart, par exemple, en plusieurs endroits de ses opéras. Il faut redonner à Gluck sa juste place, celle d’un projet esthétique très ambitieux et très novateur.

Comment est né le projet ?

En enregistrant ce programme, je n’imaginais pas du tout que cela pourrait intéresser une compagnie de ballet. Mais j’ai évoqué mon enregistrement avec Christophe Ghristi, qui s’est aussitôt montré intéressé ; cette musique splendide et idéale pour la danse, il a eu envie de l’offrir au Ballet du Capitole, qui est une compagnie d’exception. Je ne pouvais rêver mieux ! D’autant que le compagnonnage avec l’Opéra national du Capitole et la région Occitanie me tient très à cœur, et plus il se renforcera, plus je serai heureux !

Vous qui êtes un maître de la musique ancienne et de l’interprétation historique, n’auriez-vous pas préféré la reconstitution d’un ballet du XVIIIe siècle ?

Oh vous savez, je ne rejouerai jamais la querelle des Anciens et des Modernes ! Et puis je suis maître de musique, pas maître de ballet ! (rires) Ce qui m’importe, c’est d’être fidèle à la manière dont Gluck a composé et désiré sa musique, d’exprimer son expression, pour ainsi dire. Mais exprimer sa musique par la danse, cela appartient entièrement à la liberté de chaque chorégraphe, et qu’un chorégraphe d’aujourd’hui s’empare de ces chefs-d’œuvre, c’est une preuve supplémentaire de l’importance, de la vitalité de ceux-ci. À plus forte raison, impliquer deux chorégraphes tels que Ángel Rodríguez et Edward Clug pour faire vivre différemment les deux ballets, c’est un projet qui m’enthousiasme complètement ! J’aime énormément travailler avec les danseurs, et ce n’est pas ma première expérience : il y a quelques années, j’avais notamment collaboré avec le grand chorégraphe espagnol Nacho Duato pour le spectacle Por vos muero ( Pour vous je meurs), sur des musiques de la Renaissance espagnole. De toute façon, toute la musique renaissante, baroque et même encore classique est structurée à partir de l’idée et de la pratique de la danse, c’est fondamental. C’est pourquoi la danse contemporaine peut se marier merveilleusement avec la musique ancienne, et je suis convaincu que ce sera également le cas pour Don Juan et Sémiramis.

Propos recueillis par Dorian Astor


DU 24 AU 30 OCTOBRE 2024

Théâtre du capitole

Sémiramis & Don Juan

Christoph Willibald Gluck (1714-1787)

Ce sont aux chorégraphes Edward Clug (Don Juan) et Ángel Rodríguez (Sémiramis) qu’il revient de nous révéler l’éternelle modernité de ces deux partitions. Ce programme exceptionnel sera dirigé par le grand maître de la musique ancienne et baroque, Jordi Savall, qui conduira son Concert des Nations.