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La grâce d’un ballet intimiste

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La grâce d’un ballet intimiste

Jean-Guillaume Bart, ex-danseur Etoile de l’Opéra de Paris, se consacre concomitamment à ses deux passions, la chorégraphie et la pédagogie de la danse classique, qu’il a accepté d’évoquer dans cette entrevue. Après le succès de La Source en 2011 pour le Ballet de l’Opéra national de Paris, il travaille actuellement à une version de Coppélia pour le Ballet du Capitole. Toujours fidèle à Delibes. 


Entretien avec Jean-Guillaume Bart

Coppélia est un ballet du répertoire dont il existe une pléthore de versions. Pourquoi avoir eu envie de créer la vôtre ?

Il s’agit d’une commande de l’Opéra national du Capitole mais, il n’en reste pas moins que c’est un ballet auquel j’avais déjà songé. Coppélia fait toujours l’unanimité. C’est un ballet frais, joyeux dont la partition est exquise, extrêmement bien orchestrée. Le livret est facilement compréhensible même pour des enfants. En outre, c’est un ballet qui convient à une petite compagnie comme celle du Capitole. Pas besoin d’un grand nombre de danseurs pour monter Coppélia, à la différence de La Bayadère ou du Lac des cygnes qui exigent de grandes compagnies. Cela permettra de créer un ballet intimiste.

L’histoire originale d’Ernst Amadeus Hoffmann, L’Homme au sable, est tellement chargée de symboles qu’elle a même été « psychanalysée » par Freud dans son récit L’inquiétante Étrangeté. Irez-vous dans ce sens ?

Non, j’ai tenu à respecter la version traditionnelle de Coppélia qui ne prend en compte ni le côté sombre du conte d’Hoffmann ni sa lecture psychanalytique. Pour autant, ma vision heureuse de ce ballet n’a rien de réducteur ni de superficiel : elle met par exemple en lumière sa dimension féministe. Les personnages masculins, Franz et ses amis, n’ont pas toujours le beau rôle…

Je me suis également documenté sur le « mesmérisme » (le magnétisme animal). Ce courant thérapeutique professé par le docteur Mesmer était très en vogue à Paris dans les années 1780. Il s’agissait d’une forme d’hypnose capable, disait-on, de guérir les maladies nerveuses. Ces recherches m’ont servi pour le deuxième acte dans lequel Coppélius s’improvise magnétiseur et Pygmalion en tentant d’insuffler la vie à sa poupée automate.

Le décorateur de Coppélia est Antoine Fontaine, le costumier, David Bélugou et l’éclairagiste, François Menou. Que leur avez-vous demandé comme décors, costumes et lumières ? Quelles ont été vos exigences ?

Les univers de ces artistes correspondent tout à fait à ce que j’avais en tête. Le décorateur Antoine Fontaine est un maître de la toile peinte avec utilisation de la perspective. David Bélugou, le costumier, s’inscrit dans la même veine. Il s’est passionné pour les costumes ethniques d’Europe centrale et il a entrepris tout un tas de recherches. Les costumes qu’il m’a proposés, très colorés, évitent toute monotonie et seront fidèles à la réalité de l’époque.

L’éclairagiste François Menou est quelqu’un que je connais depuis longtemps. Sur La Source, en 2011, il était l’assistant lumières de Dominique Bruguière. Il a également réalisé les lumières de ma création pour le Ballet royal de Suède à Stockholm, La Boîte à joujoux, en 2022. Je partage sa vision et son univers qui sont à la fois classique, moderne et intemporel. Travaillant souvent avec Thierry Malandain, il connaît très bien la danse et sait littéralement sublimer un spectacle.

En 2011, pour le Ballet de l’Opéra national de Paris, vous exhumiez tout en créant ce somptueux ballet perdu de Saint-Léon, Nuitter et Delibes, La Source. Le même trio qui créera Coppélia, quatre ans plus tard. Avez-vous un intérêt particulier pour ce chorégraphe, ce librettiste et ce compositeur

J’ai surtout un intérêt particulier pour Léo Delibes. Le chorégraphe, Arthur Saint-Léon, n’était pas un dramaturge, à la différence de Jules Perrot. A l’origine, le troisième acte de Coppélia était un tableau allégorique, représentant assez bien la veine de Saint-Léon, c’est-à-dire une association de scènes dansées et de scènes mimées sans véritable lien direct avec l’intrigue principale.

Je connaissais la chorégraphie de Saint-Léon dans la relecture de Pierre Lacotte, que j’ai dansée et vu danser. C’est un matériel chorégraphique très intéressant, en particulier les danses de femmes. Par contre, la mise en scène, le rythme de l’action me paraissent pauvres. De même, les danses de caractère sont beaucoup moins élaborées que dans les versions de Petipa et de Cecchetti.

Charles Nuitter, le librettiste, était quelqu’un de très important à l’époque car il était le bibliothécaire-archiviste de l’Opéra de Paris. Il est le premier traducteur des opéras de Wagner en français. Son Coppélia est mieux ficelé que sa Source, au livret très alambiqué et très complexe. On est à des années-lumière du récit initial de L’Homme au sable d’Hoffmann mais Nuitter fait preuve d’habileté pour adapter ce conte dont il fait quelque chose de beaucoup plus léger. A l’époque, le ballet avait pour vocation de divertir et il clôturait la soirée après un opéra. Le but n’était pas de faire réfléchir les spectateurs. Ce qui n’empêche qu’en reprenant ces ballets aujourd’hui, on peut avoir un autre regard et des lectures différentes. On se rend compte que ces œuvres du répertoire continuent à nous interroger.

Pour La Source, créée en 1866, Léo Delibes, à 30 ans, n’est encore qu’un jeune compositeur et la direction de l’Opéra ne tient pas à lui confier la responsabilité de composer tout un ballet. On l’associe donc à un maître en la matière, le compositeur Ludwig Minkus. C’est un succès et Delibes remporte tous les suffrages pour l’originalité, la mélodie, le style français. Avec Coppélia, il va créer une sorte de chef d’œuvre, en précédant Tchaïkovski dans l’utilisation du leitmotiv et de la musique symphonique, notamment avec Sylvia (1876).

Léo Delibes reste pour moi une figure centrale et majeure de la musique de ballet et c’est un véritable plaisir pour tout le monde que de travailler avec cette musique au quotidien. Je ne m’en lasse pas.

Je sais que vous êtes un ardent défenseur et illustrateur du ballet et de la danse classique. Le ballet est parfois mis à mal aujourd’hui. En quoi cet héritage et ce style de danse sont-ils importants pour vous ?

La danse classique possède son propre langage. Pour être à même de s’approprier ce langage, il faut en connaître et en maîtriser le vocabulaire, la grammaire, la syntaxe et le sens. A l’instar du langage parlé, l’intonation, la ponctuation vont jouer un grand rôle pour donner du sens à la phrase. Pour moi, c’est essentiel ; force est de constater que ce sont des choses qui se perdent.

A force de vouloir donner la même valeur à chaque pas, chacun se devant d’être parfaitement exécuté et le plus lisible possible, on finit par perdre le sens de la phrase chorégraphique. Or, cette phrase chorégraphique est en liaison directe avec la phrase musicale. C’est là où je rejoins totalement Balanchine qui disait que la danse devait rendre la musique visible. Je m’inscris encore dans cette démarche, même si pour certains, elle semble dépassée, désuète et sans avenir. Et pourtant, ça fonctionne. Le public n’est pas dupe et perçoit très bien la justesse de cet équilibre, cette harmonie profonde entre ce qu’il voit et ce qu’il entend.

Depuis une trentaine d’années, la danse classique vit une véritable révolution. De nombreux concours voient le jour partout dans le monde, la danse devenant ainsi quantifiable, ce qui ne me paraît pas compatible avec la notion d’Art. La morphologie des danseurs actuels a énormément évolué, si on la compare à celle des années 60 ou 70. Au milieu des années 80, apparaissent des corps beaucoup plus longilignes (voire androgynes pour les hommes) et dotés d’une importante souplesse, devenue incontournable. Mais toute « révolution » a son revers et aujourd’hui, on se retrouve face à des danseurs athlètes ou à « des gymnastes de la danse » chez qui le geste technique et les amplitudes prennent le pas sur l’essence et l’expressivité du geste dansé. Lorsque je me replonge dans les archives de la danse – ce que j’adore – et que je revois les films avec Carla Fracci, Galina Oulanova, Yvette Chauviré, Noëlla Pontois, Cyril Atanasoff, Michaël Denard, Jean Babilée, et bien d’autres, je me sens immédiatement touché et concerné par leur danse. Le propre du danseur n’est-il pas de pouvoir se passer de la parole ? Son corps n’est-il pas son unique instrument pour délivrer un message ? C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis orienté vers la danse. J’étais un enfant plutôt timide, qui avait du mal avec les mots, du mal à parler en public. Grâce à la danse, j’ai senti qu’il y avait une possibilité d’exprimer des choses autrement. La danse, comme la musique, constitue un au-delà des mots.

Depuis une trentaine d’années, la danse classique vit une véritable révolution. De nombreux concours voient le jour partout dans le monde, la danse devenant ainsi quantifiable, ce qui ne me paraît pas compatible avec la notion d’Art. La morphologie des danseurs actuels a énormément évolué, si on la compare à celle des années 60 ou 70. Au milieu des années 80, apparaissent des corps beaucoup plus longilignes (voire androgynes pour les hommes) et dotés d’une importante souplesse, devenue incontournable. Mais toute « révolution » a son revers et aujourd’hui, on se retrouve face à des danseurs athlètes ou à « des gymnastes de la danse » chez qui le geste technique et les amplitudes prennent le pas sur l’essence et l’expressivité du geste dansé. Lorsque je me replonge dans les archives de la danse – ce que j’adore – et que je revois les films avec Carla Fracci, Galina Oulanova, Yvette Chauviré, Noëlla Pontois, Cyril Atanasoff, Michaël Denard, Jean Babilée, et bien d’autres, je me sens immédiatement touché et concerné par leur danse. Le propre du danseur n’est-il pas de pouvoir se passer de la parole ? Son corps n’est-il pas son unique instrument pour délivrer un message ? C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je me suis orienté vers la danse. J’étais un enfant plutôt timide, qui avait du mal avec les mots, du mal à parler en public. Grâce à la danse, j’ai senti qu’il y avait une possibilité d’exprimer des choses autrement. La danse, comme la musique, constitue un au-delà des mots.

Aujourd’hui, tout a basculé. Les corps, triés, sélectionnés, sont exceptionnellement doués, mais ces corps ont une énorme difficulté à animer un mouvement. L’œil est vide, le plexus solaire sans vie, la nuque rigide. Depuis que j’ai quitté la scène, c’est contre cette dérive que je me bats au quotidien en tant que pédagogue.

Animer un geste, c’est-à-dire de lui donner une âme, est beaucoup plus difficile que de le formater de manière mécanique. Il est pourtant impératif de rester vigilant, de se rappeler que la technique doit servir l’expression, qu’elle n’est pas un but en soi.

Or j’ai la sensation que la danse classique est peu à peu, en train de se déshumaniser, d’oublier son essence même. Et dans cette mesure, je comprends très bien qu’on puisse lui reprocher d’être un art d’un autre temps, dénué d’intérêt : comment s’en étonner quand on observe une telle déperdition de sens ?

Mon objectif premier est donc cette quête de sens, surtout s’il s’agit d’un ballet créé au 19ème siècle comme Coppélia. La manière d’utiliser le bas de jambe, de diriger un pied, de placer un épaulement…Chacun de ces éléments va rendre le propos vivant et servir la narration.

Cette question, l’un des ressorts passionnants du ballet, est centrale dans le livret de Coppélia : comment donner une âme à un corps ? Ce corps, c’est celui de la poupée ; or malgré sa souplesse idéale et ses articulations aux possibilités extraordinaires, elle n’est et ne sera jamais qu’un objet, même si cet objet est capable d’exécuter mille et une prouesses. Il suffit de le guider de manière mécanique. Mais pourrait-on vraiment insuffler la vie à une poupée ? Lui faire exprimer une émotion ? C’est tout le sujet du 2ème acte : là où le grand rêveur qu’est Coppélius, lui-même ancien danseur, ne peut qu’échouer. Car il se heurte à une réalité implacable : seule l’humanité qui nourrit le moindre geste en fait la valeur. Sans elle, tout est vain. Sans émotion réelle, sans richesse intérieure, la Danse ne peut tout simplement pas exister…

Heureusement, la pétillante héroïne du ballet, Swanilda, est là avec ses amies pour en incarner la vitalité et l’esprit. On pourrait même dire, pour les sauver.

Propos recueillis par Carole Teulet, Dramaturge de l’Opéra national du Capitole

Crédit photo : Répétition de Coppélia © David Herrero


Rendez-vous pour le ballet !

Du 18 au 25 avril 2025

Théâtre du capitole

Coppélia

Accomplissement du ballet-pantomime, Coppélia, créé le 25 mai 1870, est l’un des ballets les plus représentatifs de l’école française, basé sur le style raffiné enseigné au Ballet de l’Opéra de Paris. Jean-Guillaume Bart, Étoile du Ballet de l’Opéra national de Paris et chorégraphe, proposera sa version de l’œuvre dans l’esprit de la tradition du grand ballet français.