AU PAYS DES MERVEILLES

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AU PAYS DES MERVEILLES

LA SAISON 25/26 DE L’OPÉRA NATIONAL DU CAPITOLE

Le jeudi 3 avril, l’Opéra national du Capitole a dévoilé au public et à la presse toute sa programmation 25/26 ! La brochure de saison est désormais disponible, et vous en retrouverez un résumé aux pages suivantes. Christophe Ghristi, le directeur artistique de l’Opéra, évoque les points forts d’une saison qui va vous entraîner de merveilles en merveilles…


Entretien avec Christophe Ghristi

Pour commencer, permettez-moi de vous parler boutique : dans un contexte économique difficile, et notamment pour la culture, avez-vous géré raisonnablement votre prochaine saison ?

Absolument. Il faut d’abord dire que nous bénéficions du soutien et de la confiance indéfectibles de Toulouse Métropole – ce n’est pas le cas partout en France – , et il est de notre devoir d’honorer cette confiance. Aujourd’hui, dans le contexte que vous évoquez, la seule façon d’être pérenne, c’est le pragmatisme. Quel est le sens de mon métier ? Je dois remplir la maison avec un public qui puisse venir s’y émerveiller, s’y émouvoir et, je n’en ai pas honte, s’y divertir d’un monde harassant ; cet émerveillement doit être obtenu de manière pragmatique, mais il ne doit pas porter les stigmates du pragmatisme, sans quoi le merveilleux s’effondre… et la maison se vide ! La saison actuelle s’annonçait sous les meilleurs auspices, avec des abonnements en forte hausse et beaucoup de représentations à guichets fermés. Même si nous sommes à nos propres limites, nous allons essayer de faire mieux encore.

Pouvez-vous détailler concrètement ?

Commençons par l’opéra : concrètement, nous mettons à l’affiche sept productions ; comment sont-elles réparties ? Trois viennent de ce qu’on appelle le stock, c’est-à-dire que nous les possédons et les reprenons : Lucia di Lammermoor et Otello viennent du fonds de Nicolas Joel, dont les mises en scène somptueuses font partie de la grande histoire du Capitole ; Carmen, par Jean-Louis Grinda, est une production récente, mais que nous avions donnée en pleine crise sanitaire, contre vents et marées ; il fallait lui redonner une chance rapidement. Nous avons ensuite une location : Thaïs, qui n’avait pas été donnée depuis une trentaine d’années au Capitole, et qui prolonge notre collaboration avec le metteur en scène italien Stefano Poda, un véritable magicien : rappelez-vous Ariane et Barbe-Bleue, Rusalka et Nabucco ! Enfin, un achat : La Passagère, car Innsbruck allait « déclasser » la production, c’est-à-dire la détruire – et pourtant, c’est un événement, car cet opéra n’a jamais été donné en France, je vous en reparlerai. Quant à Don Giovanni, il s’agit d’une coproduction exceptionnelle entre le Capitole et quatre autres maisons françaises. Tout cela procède d’une économie particulièrement vertueuse.

Et qu’en est-il de vos choix d’ouvrages ?

Il est de ma mission de proposer au public une saison éclatante tout en continuant à mettre en valeur le patrimoine du grand répertoire. Or presque tous les titres de cette saison sont autant de piliers fondamentaux du répertoire d’une maison et de l’histoire de l’opéra. Nous n’avons, dans une saison, ni le temps ni la place pour des curiosités, nous devons frapper fort, aller à l’essentiel. Chaque saison a une couleur bien à elle, mais je travaille aussi à la continuité. Prenez
Mozart, Verdi, Strauss. Il est impensable de les négliger, même sur de courtes périodes : nous avons un Mozart et un Verdi chaque année et, cette saison avec Don Giovanni et Otello, nous atteignons leurs sommets… Quant à Strauss, je mets un point d’honneur à imposer celui que je crois être le plus grand compositeur d’opéra du XXe siècle, alors même qu’en France, il disparaît des scènes lyriques. Après Ariane à Naxos, Elektra et le succès phénoménal de notre Femme sans ombre, je suis conforté dans l’idée que Strauss est primordial. Cette saison, ce sera Salomé, qui est un chef-d’œuvre absolu, et qui répond à plusieurs fidélités : à l’égard du baryton Matthias Goerne, que nous avons eu dans de grands rôles et en récital et qui rêvait depuis longtemps de faire une mise en scène ; à l’égard du chef d’orchestre Frank Beermann avec qui nous avons partagé Wagner, Strauss mais aussi Mozart et Dvořák, et à l’égard de la soprano française Marie-Adeline Henry : sa Jenůfa fut un tel choc que je voulais lui proposer une prise de rôle qui ait la même puissance.

Et Don Giovanni, une production-événement ?

Certainement ! L’ouvrage est non seulement un coup de tonnerre dans l’histoire de l’opéra, mais notre production rassemble des conditions exceptionnelles : ce seront en effets les débuts, dans notre Théâtre, de Tarmo Peltokoski à la baguette, et d’Agnès Jaoui à la mise en scène. Je suis ravi d’accueillir le nouveau directeur musical de l’Orchestre national du Capitole : c’est un passionné d’opéra, et le fait que l’Orchestre joue également dans la fosse du Théâtre compte
parmi les raisons qui l’ont attiré à Toulouse. Sa saison actuelle, comme directeur musical désigné, est éblouissante. Et comme Mozart est l’alpha et l’oméga, qu’il l’a beaucoup dirigé et lui a récemment consacré un enregistrement, il fallait inaugurer notre collaboration avec Mozart, et quel Mozart ! Quant à Agnès Jaoui, pour qui j’ai une grande admiration, elle a toujours cultivé la musique, comme interprète mais aussi, dernièrement, avec sa première mise en scène d’opéra (L’Uomo femina de Galuppi à Dijon). Et puis, je dois m’en féliciter, elle est une spectatrice régulière du Capitole ! (Ses fonctions de présidente de la Cinémathèque la conduisent souvent dans notre ville.) Au fil de nos échanges, l’idée m’est venue de lui faire cette proposition : ce fut comme une évidence ! Ses films ont toujours parlé de la séduction, des difficiles rapports entre hommes et femmes. Et puis, elle oscille toujours entre drame et comédie, ce qui me
semble particulièrement pertinent pour Don Giovanni.

Arrêtons-nous un moment sur La Passagère de Weinberg. Pourriez-vous nous présenter cet ouvrage et nous expliquer ce qui vous a poussé à le programmer ?

Cela vaut la peine de s’y arrêter en effet. Le compositeur Mieczysław Weinberg (1919- 1996), d’origine juive polonaise, est sorti de l’ombre ces dernières années pour se placer peu à peu parmi les plus grands. Ami de Chostakovitch, il est l’auteur d’une œuvre qui s’est révélée majeure, grâce aux efforts d’interprètes comme Gidon Kremer ou le quatuor Danel (ce dernier sera invité, avec l’immense pianiste Elisabeth Leonskaja, pour un concert exceptionnel de musique de chambre Chostakovitch-Weinberg), et le succès à Salzbourg l’année dernière de son opéra L’Idiot, d’après Dostoïevski. Mais dès 2010, La Passagère a marqué une étape importante dans la redécouverte de Weinberg : l’opéra, composé en 1968, longtemps censuré par l’Union soviétique, n’a été créé qu’en 2010 à Bregenz ; depuis, l’ouvrage est monté un peu partout en Allemagne, en Autriche, à Madrid, etc. La France ne l’a pas encore accueilli. Il me semblait indispensable de faire connaître ce chef-d’œuvre.

Que raconte La passagère ?

Le livret s’inspire d’un roman autobiographique de Zofia Posmysz, écrivaine polonaise rescapée d’Auschwitz : cela raconte la rencontre fortuite, lors d’une croisière, d’une survivante du camp et de sa tortionnaire. À partir de là va s’ouvrir un monde de réminiscences, entre présent et passé, entre oubli et mémoire. La musique est d’un puissant lyrisme, et nous déploierons les moyens d’un grand opéra. C’est un peu, si je puis dire, l’opéra que Chostakovitch n’aura jamais écrit après 1945… Et si vous me demandez pourquoi, après Voyage d’automne, je choisis encore un opéra qui parle de la Shoah, je vous dirai que l’opéra a toujours porté les blessures de l’Histoire ; en s’investissant dans l’opéra des XXe et XXIe siècles comme le fait le Capitole, il est impossible de ne pas se heurter à ce trou noir de notre civilisation. Et voyez, j’y ajouterais même Le Viol de Lucrèce, que nous avons donné il y a deux ans : sur un mode cette fois indirect, choisissant de faire le détour par l’Antiquité, c’est bien cette béance que Britten exprime en 1946. Je ne vois rien, à l’époque actuelle, qui puisse me convaincre de laisser cette mémoire dernière nous.


Parlons à présent de la saison de ballet…

Elle est la marque de la nouvelle direction de la danse. Beate Vollack a, je crois, tout compris de l’identité du Ballet du Capitole : ce grand écart perpétuel entre la grande tradition classique et la création contemporaine. Peu de compagnies en sont capables. Deux créations et deux reprises, donc, dans un parfait équilibre. Trois Cygnes témoigne justement de l’articulation entre tradition et création : trois équipes chorégraphiques de langages très différents s’empareront de la tradition du Lac des Cygnes pour rêver ce que la figure du cygne peut nous dire aujourd’hui. Into the Blue est un événement : Kader Belarbi avait à l’époque accueilli Carolyn Carlson pour des reprises ; depuis lors, cette immense chorégraphe désirait, tout autant que notre compagnie, une création pour le Capitole.
C’est chose faite : ce sera à la Halle aux grains, sur une musique originale interprétée par l’Orchestre. Quant aux reprises, ce ne sont pas n’importe lesquelles : Casse-Noisette est un incontournable de toute grande compagnie, et l’Hommage à Ravel rassemble autour du compositeur, dont nous célébrerons le 150e anniversaire, nos trois forces artistiques : le Ballet, l’Orchestre et le Chœur. Peu de maisons peuvent se prévaloir de telles forces réunies, et à ce niveau d’excellence.

Vous donnez également, en version de concert, trois œuvres dramatiques de l’époque baroque. Pourquoi des versions de concert plutôt que des mises en scène ?

Les versions de concert sont une pratique que je souhaite développer, après le succès, les saisons dernières, du Retour d’Ulysse de Monteverdi, de l’Alcina de Caccini ou du Didon et Énée de Purcell. C’est une merveilleuse possibilité d’élargir la programmation lyrique dans un planning et un budget qui ne permettraient pas trois opéras de plus. Avec Armide de Lully, Les Boréades de Rameau et Theodora de Haendel, nous ne sommes pas dans l’anecdote, et ces trois chefs-d’œuvre sont donnés pour la première fois au Capitole. Ce sont des œuvres et des compositeurs fondamentaux. Armide est le sommet de la production de Lully, le parangon, pour toute sa postérité, de la tragédie lyrique portée à sa perfection. De Rameau, qui est le génie absolu du XVIIIe français, Les Boréades sont l’ultime chef-d’oeuvre, et on y découvre un Rameau onirique, contemplatif, immensément poétique. Enfin, Theodora, qui est un oratorio (en fait un « opéra sacré », pour ainsi dire), révèle, aux antipodes de Jules César, le Haendel anglais, maître d’un genre introspectif et spirituel, dont toute l’action est comme concentrée en un conflit des âmes.

C’est aussi une manière d’accorder une grande place à la musique baroque, n’est-ce pas ?

La musique baroque aujourd’hui n’est plus à la marge du répertoire : elle recouvre après tout la moitié des quatre siècles de l’histoire de l’opéra. C’est aussi une manière de nous associer à des ensembles particulièrement prestigieux : vous connaissez la fidèle relation que nous avons avec Le Concert des Nations (Jordi Savall) et I Gemelli (Emiliano Gonzalez Toro) ; nous avons retrouvé avec Jules César les Talens Lyriques (Christophe Rousset), et invitons désormais l’Orchestre de l’Opéra royal de Versailles, avec Didon et Énée cette saison et un programme rare et passionnant la saison prochaine. Je suis très heureux d’accueillir à présent Le Poème harmonique et Vincent Dumestre pour Armide, l’Ensemble Jupiter et Thomas Dunford pour Theodora et l’ensemble a nocte temporis de Reinoud van Mechelen pour Les Boréades. Nous avons là ce qu’il y a de meilleur dans le paysage baroque actuel.

Vos distributions réunissent à la fois des stars d’aujourd’hui et celles de demain. Quelle est votre politique concernant les solistes ?

Évidemment, ce qui attire les très grands noms de la scène internationale, c’est la qualité et la pertinence des projets que nous leur proposons : Rachel Willis- Sørensen, Karine Deshayes, Sophie Koch, Jessica Pratt, Adriana Gonzalez, Marie-Nicole Lemieux, Pene Pati, Michael Fabiano, Tassis Christoyannis,
Michele Pertusi, et j’en passe… ! Tous apprécient une relation de fidélité et de confiance, l’assurance des meilleures conditions de travail, la chaleur du public. Les artistes se sentent bien au Capitole, ils le disent eux-mêmes. Il en est ainsi également pour la jeune génération française qui trouve au Capitole le cadre parfait pour apprendre le métier. Et puisque nous parlons de fidélité, une mention particulière pour la grande Annick Massis : son extraordinaire carrière a débuté au Capitole en 1991 et, depuis, elle a régulièrement brillé dans les plus beaux rôles sur notre scène, jusqu’à une inoubliable Lucrèce Borgia. Aujourd’hui, elle a souhaité venir faire ses adieux au public du Capitole, c’est un geste qui me touche profondément.

Propos recueillis par Dorian Astor

Crédits photos :

1. Christophe Ghristi parle au public du Bus Figaro, spectacle itinérant qui a touché jusqu’à présent plus de 18 000 enfants et adultes. Le Pays des merveilles, c’est à l’intérieur du Théâtre mais aussi partout où rayonne l’Opéra national du Capitole. Toulouse, Jardin Raymond VI, 2021. © Valérie Mazargui

2. Otello de Verdi, mise en scène Nicolas Joel (Théâtre du Capitole, 2001). © Patrice Nin

3. La Passagère de Weinberg, mise en scène Johannes Reitmeier (Tiroler Landestheater d’Innsbruck, 2022). © Birgit Gufler

4. Maquette de décor de Hernan Peñuela pour Salomé de Strauss dans la mise en scène de Matthias Goerne (mai 2026). © Hernan Peñuela

5. Thaïs de Massenet, mise en scène Stefano Poda. © Ramella & Giannese

6. Daphnis et Chloé de Ravel et Malandain. Ballet du Capitole, Halle aux grains, 2022.© David Herrero


Rendez-vous pour la nouvelle saison !

Saison 2025-2026

La ferveur du public du Capitole, toujours plus nombreux et enthousiaste, montre bien l’absolue vitalité et la modernité essentielle du genre que nous célébrons et servons. Cette ferveur montre aussi la nécessité pour chacun d’entre nous de s’échapper du quotidien pour respirer l’air des cimes. Saison après saison, l’Opéra national du Capitole essaie de rendre l’air plus respirable, et même enivrant !