Transcender l’apparence

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Transcender l’apparence

Entretien avec Rachel Willis-Sørensen

Elle fera prochainement ses débuts au Capitole dans le rôle-titre de Thaïs de Massenet. La soprano américaine Rachel Willis-Sørensen, dont Le Monde a loué le « timbre de beauté marmoréenne » et la « projection tellurique », est reconnue pour son répertoire diversifié, allant de Mozart à Wagner. Invitée régulière des plus grandes scènes internationales, nous l’avons interviewée alors qu’elle répétait Don Carlo de Verdi au Teatro San Carlo de Naples. Après des succès remarqués dans des rôles comme Elsa (Lohengrin), la Maréchale (Der Rosenkavalier) ou Desdemona (Otello), cette artiste aussi généreuse que chaleureuse nous livre sa vision de cette œuvre qui fait dialoguer sensualité et spiritualité dans une partition d’une richesse exceptionnelle.


Vous vous produirez pour la première fois au Capitole en ouverture de saison. Connaissez-vous Toulouse ?

Mais bien sûr ! Je suis venue plusieurs fois à Toulouse comme touriste et pour rendre visite à des amis. J’ai assisté à de merveilleux spectacles au Théâtre du Capitole et je suis ravie d’y faire enfin mes débuts. C’est une ville que je ne connaissais qu’en tant que spectatrice, et j’ai hâte d’y revenir comme artiste – et aussi pour sa gastronomie !

La musique française semble occuper une place privilégiée dans votre répertoire…

J’adore la musique française ! Massenet et les compositeurs du grand opéra français ont écrit parmi les plus belles mélodies jamais composées. Il y a dans cette musique tant de phrases qui vous bouleversent profondément. C’est pourquoi je suis si enthousiaste à l’idée de chanter Thaïs, et particulièrement de le faire en France. C’est un véritable honneur et un défi que j’aborde avec une immense joie

Le français est-il une langue qui vous est particulièrement chère ?

C’est ma langue préférée pour chanter. Les voyelles françaises sont incroyablement riches en harmoniques et permettent d’obtenir une grande résonance avec peu d’effort. La façon dont le son se prolonge au-delà de la fin des mots crée un legato naturel, contrairement à d’autres langues où le son s’interrompt avant la fin du mot. Le français se prête aussi à une déclamation très expressive. Je me souviens avoir été frappée par l’interprétation de Jessye Norman dans la musique française – l’intensité de sa prononciation créait des frissons chez l’auditeur. Cette langue exige un engagement total, une sorte de legato énergétique qui traverse chaque phrase.

Comment abordez-vous vocalement le rôle de Thaïs ?

Je suis encore au début de ma préparation, j’explore différents enregistrements, dont celui de Beverly Sills avec qui je ressens une
connexion particulière. Le principal défi vocal est de trouver le juste équilibre : la partition comporte des notes aiguës optionnelles très impressionnantes, mais qui nécessitent de maintenir une certaine légèreté dans le registre grave. Je dois déterminer ce qui convient le mieux à ma voix : privilégier ces notes aiguës spectaculaires ou favoriser la richesse de la déclamation dans le médium.

Qu’est-ce qui vous touche dans ce personnage ?

J’ai découvert Thaïs lors d’une retransmission du Met avec Renée Fleming et j’ai été profondément émue par l’histoire. Ce qui est fascinant, c’est le renversement complet des apparences : Athanaël se présente comme vertueux et voit Thaïs comme une pécheresse, mais c’est finalement elle qui accède véritablement à la foi et lui qui sombre. Le personnage de Thaïs illustre cette idée universelle que la valeur d’une personne transcende son apparence. Quand elle se regarde dans le miroir avec désespoir, elle a peur de perdre ce qu’on lui a toujours dit être sa seule valeur. Ce que lui révèle Athanaël – et c’est là toute l’ironie – c’est qu’elle possède une âme éternelle bien plus importante que son enveloppe charnelle. La méditation au violon représente précisément ce moment où Thaïs découvre pour la première fois la notion de rédemption et la promesse christique. C’est un moment d’une beauté absolue.

Qu’est-ce qui vous touche dans ce personnage ?

J’ai découvert Thaïs lors d’une retransmission du Met avec Renée Fleming et j’ai été profondément émue par l’histoire. Ce qui est fascinant, c’est le renversement complet des apparences : Athanaël se présente comme vertueux et voit Thaïs comme une pécheresse, mais c’est finalement elle qui accède véritablement à la foi et lui qui sombre. Le personnage de Thaïs illustre cette idée universelle que la valeur d’une personne transcende son apparence. Quand elle se regarde dans le miroir avec désespoir, elle a peur de perdre ce qu’on lui a toujours dit être sa seule valeur. Ce que lui révèle Athanaël – et c’est là toute l’ironie – c’est qu’elle possède une âme éternelle bien plus importante que son enveloppe charnelle. La méditation au violon représente précisément ce moment où Thaïs découvre pour la première fois la notion de rédemption et la promesse christique. C’est un moment d’une beauté absolue.

Vous semblez particulièrement touchée par la dimension spirituelle de l’œuvre…

Je viens moi-même d’un milieu religieux très conservateur et j’ai dû surmonter la rigidité des dogmes… Or cette œuvre porte un message profondément humain malgré son contexte archaïque. Ce que vit Thaïs, c’est la découverte que sa valeur ne réside pas dans son corps que les autres objectivent, mais dans son âme. L’hypocrisie d’Athanaël est révélatrice : il prétend lui enseigner la valeur de son âme alors qu’il n’est obsédé que par son apparence. Son message est pourtant vrai, même s’il n’y croit pas lui-même. C’est elle qui incarne véritablement le message de rédemption et d’amour, tandis qu’il reste prisonnier d’une vision sévère et punitive.

Comment l’opéra peut-il toucher le public d’aujourd’hui selon vous ?

L’opéra possède cette capacité unique d’accéder à une partie profonde de nous mêmes. Quand la voix humaine non amplifiée s’exprime avec pureté, elle crée une connexion quasi physiologique avec l’auditeur. Les meilleurs chanteurs que j’ai entendus me donnent l’impression que leur voix émane de moi-même, comme si j’étais partie prenante de cette expérience. Il se crée un pont énergétique entre l’interprète et le public – quelque chose qui peut avoir un impact profondément positif sur notre monde.

Crédits photos :

  1. Rachel Willis-Sørensen © Olivia Kahler
  2. Rachel Willems-Sørensen dans le rôle-titre de Rusalka de Dvořák, 2019. © Cory-Weaver / San Francisco Opera
  3. Thaïs, mise en scène de Stefano Poda, Teatro Regio Torino, 2008. © Ramella e Giannese

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Dorian Astor


Rendez-vous au spectacle !

Du 26 septembre au 5 octobre 2025

Théâtre du capitole

Thaïs

Jules Massenet (1842-1912)

À Alexandrie, aux premiers temps du christianisme, un moine tente de convertir une courtisane vouée à Vénus… Mais péché et sainteté ne se trouvent pas où l’on pense… Dans ce chassécroisé du sacré et du charnel, Massenet déploie des trésors de beauté musicale, entre volupté et spiritualité. Prises de rôle attendues de Rachel Willis-Sørensen et Tassis Christoyannis, dans la mise en scène du magicien Stefano Poda et sous la baguette d’Hervé Niquet, grand amoureux de la musique française.