Pelléas et Mélisande – Entretien

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Pelléas et Mélisande – Entretien

Questions à…

Marc Mauillon

Par l’étendue et la singularité de son répertoire, son timbre si reconnaissable et sa diction ciselée, Marc Mauillon occupe une place toute personnelle sur la scène lyrique actuelle. Doué d’une voix qui tient à la fois du ténor et du baryton, ce caméléon déploie et adapte ses couleurs au gré des musiques et des personnages qu’il rencontre. Et sa rencontre avec Pelléas fut décisive, pour notre plus grand bonheur.

Comment décririez-vous le personnage de Pelléas en trois adjectifs ?

Je dirais jeune, solaire et donc inadapté à son environnement.

Qu’aimez-vous le plus en lui ?

J’aime sentir cette passion qui se réveille en lui au fil de l’œuvre. J’aime aussi le monde qu’il s’est créé pour survivre à Allemonde et qu’il partage avec Mélisande.

Qu’aimez-vous le moins ?

Il dit toujours qu’il veut partir mais il ne le fait jamais. J’aurais aimé qu’il puisse s’échapper de ce monde…

Quelles ont été les étapes de travail dans l’apprentissage de votre rôle ?

C’est passionnant de chanter un rôle plusieurs fois et de pouvoir ainsi rajouter des couches supplémentaires de travail à chaque fois. Pour Pelléas encore plus que pour d’autres rôles, j’ai besoin de reprendre très régulièrement ma partition et de bien revoir la prosodie si subtile de Debussy pour ne pas prendre de « mauvais pli ».

Quelle est pour vous sa plus grande difficulté d’interprétation ?

C’est de trouver la fluidité du texte en restant dans une grande rigueur rythmique, mais sans oublier l’incroyable puissance de la langue de Maeterlinck. J’ai parfois tendance à me laisser prendre par cette musique fantastique et si bien écrite…

Marc Mauillon © INANIS

Vous souvenez-vous de votre toute première découverte de Pelléas et Mélisande ?

Oh oui ! Je ne connaissais pas du tout l’œuvre et je l’ai déchiffrée au Conservatoire de Paris. Et pour la première fois j’avais l’impression que vocalement je n’avais rien à faire car tout était écrit de manière à ce que mon instrument sonne de manière optimale naturellement ! Quelle joie !


Victoire Bunel © François Bouriaud

Questions à…

Victoire Bunel

Reconnue pour sa grande musicalité et la richesse de son timbre, Victoire Bunel est une des figures montantes de la scène lyrique française. Remarquée ces dernières saisons pour le succès unanime de toutes ses prises de rôles (on se souvient, au Capitole, de sa Karolka dans Jenůfa ou de son Fiodor dans Boris Godounov) mais aussi pour son approche subtile de la mélodie française, elle est très attendue sur notre scène dans le rôle mythique de Mélisande.

Comment décririez-vous le personnage de Mélisande en trois adjectifs ?

Magnétique, instinctive et énigmatique.

Qu’aimez-vous le plus en elle ?

Par-dessus tout, sa poésie. Tout ce que Mélisande invoque, parfois malgré elle, est ce qui la rend si captivante et touchante à mes yeux. Je dirais aussi sa capacité à être sans cesse en alerte, à l’écoute de ses ressentis, quitte à se laisser complètement submerger, incapable de trahir ou réfréner ses sentiments.

Qu’aimez-vous le moins ?

On peut reconnaître une certaine lâcheté à Mélisande, qui s’explique peut-être par des traumatismes de son passé et surtout par cet amour interdit pour Pelléas qui la pousse à mentir et la plonge dans une profonde tristesse.

Quelles ont été les étapes de travail dans l’apprentissage de votre rôle ?

En 2016 parallèlement à mes études au CNSM, j’ai eu la chance de participer à une production de Pelléas et Mélisande dans une version pour orchestre de chambre, avec quelques coupures (aux côtés de Martial Pauliat en Pelléas et Victor Jacob à la direction). Cela m’a permis de plonger une première fois physiquement dans l’œuvre. Depuis, ma voix a évolué, mon rapport à la scène et à mon métier également et je suis très heureuse de retraverser cet opéra sous ces nouveaux prismes. Retravailler la pièce de Maeterlinck a été la première étape de ces retrouvailles, retrouver les mots sans penser à la musique. Mais ce n’est pas si facile, je connais tant la musique de Debussy que chaque phrase de la pièce est associée à une couleur, un rythme, un phrasé musical. Le texte est mon socle, mon point d’ancrage et ma colonne vertébrale pour conduire et habiter chaque phrase de Mélisande, comme le sont d’ailleurs chacun de ses silences, qui parlent tout autant. J’ai besoin de nourrir mon imaginaire, de créer un univers qui m’est propre autour de Mélisande avec des lectures, des peintures, des photographies, des choix musicaux ou d’interprétations. Je peux ainsi donner naissance à ma vision du personnage et de son histoire. Il y a parallèlement à tout cela le travail technique et musical de préparation avec des coachs qui vient lui aussi sculpter et préciser mes désirs et mes choix.

Quelle est pour vous sa plus grande difficulté d’interprétation ?

Mélisande est un personnage énigmatique, nous ne sommes pas certains de son âge, de l’endroit d’où elle vient, de ce qu’elle a vécu avant d’arriver à Allemonde, ni même tout simplement de ce qu’elle pense ou ressent. Elle communique d’une manière très singulière, par exemple, sans quasiment jamais répondre de façon directe aux questions qu’on lui pose. Cela engendre une difficulté toute particulière : l’incarnation. Le fait de lui donner corps tout en conservant son mystère et son inaccessibilité. Je veux absolument éviter de la réduire à une femme ingénue et faible qui subirait tout ce qui lui arrive. Je la trouve puissante, hypnotisante. Elle est traversée par de grandes passions, guidée par une sensibilité à fleur de peau et un instinct quasi animal qui la pousse autant à fuir (avant qu’elle ne se retrouve perdue dans la forêt où elle rencontre Golaud) qu’à embrasser son destin et vouloir retrouver la lumière au milieu de ce royaume. Sur le plan musical, la plus grande difficulté résulte dans l’écriture elle-même. La ligne a un débit proche du parlé, dans une tessiture medium, avec de courtes phrases. Le lyrisme, d’un point de vue vocal, n’y existe quasiment pas, il faut jouer sur d’autres registres pour garder une ligne et conduire le texte. À la présentation de l’œuvre par Debussy aux chanteurs de la création, ce dernier dit : « Mesdames et Messieurs, pour pouvoir chanter ma musique, chacun de vous va devoir oublier qu’il est chanteur. J’ai voulu que l’action ne s’arrêtât jamais, qu’elle fût continue, ininterrompue. Elle est impuissante à traduire la mobilité des âmes et de la vie. Je n’ai jamais consenti à ce que ma musique brusquât ou retardât, par suite d’exigences techniques, le mouvement des sentiments et des passions de mes personnages. Elle s’efface dès qu’il convient qu’elle leur laisse l’entière liberté de leurs gestes, de leurs cris, de leurs joies ou de leurs douleurs » (voir les souvenirs de Mary Garden).

Vous souvenez-vous de votre toute première découverte de Pelléas et Mélisande ?

Comme si c’était hier ! Je devais avoir 17 ans, je travaillais à la médiathèque pour terminer des devoirs afin de valider mon dernier cycle d’étude à la Maîtrise de Radio France. En déambulant dans le rayon des disques, je suis tombée par hasard sur la version de Claudio Abbado avec Maria Ewing et François Le Roux. Munie de mon lecteur CD, je me suis assise, ai ouvert le livret et écouté cet opéra d’une traite, sans pouvoir m’arrêter une seconde. J’étais bouleversée.

Propos recueillis par Dorian Astor


Du 17 au 26 mai 2024

Théâtre du capitole

Pelléas et Mélisande

Claude Debussy (1862-1918)

La pièce de Maeterlinck créait un univers poétique d’un onirisme sombre et hypnotique. Debussy compose l’opéra des opéras, qui marquera, à l’instar de Tristan, tout le XXe siècle. Sous la baguette de Leo Hussain, grand spécialiste de musique française, cette production d’Éric Ruf, administrateur général de la Comédie- Française, met en scène une équipe de chanteurs exceptionnels, dont Marc Mauillon, l’un des meilleurs Pelléas de notre temps, et la magnifique Victoire Bunel, qui fait ses débuts dans Mélisande.