Belcantissima

Modifié le :

Belcantissima

Portrait d’Annick Massis

Annick Massis est l’une de nos plus grandes chanteuses françaises. La beauté de sa voix et la perfection de sa technique ont fait d’elle une belcantiste hors pair. Sur les plus grandes scènes du monde, elle a brillé dans plus de soixante-dix rôles majeurs. À Toulouse, où elle a fait ses débuts en 1981, Annick Massis a été inoubliable dans Les Pêcheurs de perles, Mignon, Lucia di Lammermoor, ou encore Lucrezia Borgia. Fidèle, cette immense artiste a choisi de venir faire ses adieux au public toulousain. C’est pour l’Opéra national du Capitole un grand honneur, mais aussi une joie profonde : car rien n’est plus joyeux que la célébration d’une telle carrière, rien n’est plus généreux que ce partage. Portrait, en forme d’hommage, par Sylvain Fort.

UNE ENTRÉE DISCRÈTE
De mon passage au conservatoire Francis Poulenc (Paris 16), dans la classe d’Isabel Garcisanz, je n’eusse retenu que ma triste médiocrité si les cours où, comme de juste, on écoutait les autres élèves après et avant sa propre leçon, n’avaient été illuminés parfois de la présence d’une grande jeune femme blonde, venue consolider sa technique déjà installée. Elle entrait discrètement. Nous savions qu’elle était un peu plus âgée que nous. Qu’elle avait encore récemment été institutrice. Et qu’elle était venue au chant tardivement. Alors elle avait mis les bouchées doubles. Appris à lire la musique. Commencé à installer un répertoire avec la fidèle Sybil Bartrop – comme ces Mozart que déjà Bernard Thomas, à qui Gabriel Dussurget l’avait présentée, lui faisait chanter à l’église Saint-Germain-des-Prés. J’assistai aux travaux de fondation d’une technique, et à la prise de conscience progressive de ses possibilités. Alors me frappa chez Annick Massis (oui, c’était elle) une intelligence méthodique prenant le contrôle de chaque muscle, de chaque nerf, pour peu à peu maîtriser un matériau d’une immense richesse.

UN ROSSIGNOL EST NÉ
Était-ce un dimanche ? On avait pris le train de Compiègne pour un de ses premiers récitals au programme insensé d’airs d’opéras virtuoses. Tout le monde naturellement s’extasia devant ces coloratures : un nouveau rossignol français était né. Gabriel Dussurget était là, qui se joignait aux louanges, et me glissa: l’important ce ne sont pas les notes, c’est son timbre, c’est cela qui la singularise. Car ce timbre n’était pas celui, adamantin, d’un soprano léger. Déjà s’entendait exactement ce qu’Alain Duault parlant un jour de Kathleen Battle, appela un timbre « couleur de framboise écrasée ». Oui, il y avait dans le timbre comme de la pourpre, une ombre rougeoyante. Là était la vraie fondation, dans cette couleur qui demain serait le sang de ses « compagnes » – Lucia, Violetta, Amina…

SAVOIR ATTENDRE
Le don, la passion, le travail, la reconnaissance, l’élan, et ce sentiment inévitable d’être une tard venue : tout aurait dû plaider pour une grande hâte. Il n’en fut rien. Vinrent un peu de Mozart et beaucoup de baroque, comme pour finir de poser les bases. Du Rossini à haute dose, propédeutique à ce qui suivrait. Déjà dans ces répertoires s’imposaient deux autres facettes de son intelligence d’artiste. D’abord sa curiosité : Annick Massis est la seule artiste qu’on sache à avoir contribué à la fois à la renaissance baroque, à la dernière (et brillante) phase de la Rossini Renaissance et même à la renaissance d’un certain répertoire français (de Philine à Ophélie). Ensuite, sa patience sous la pression : lorsque Lucia vint, à la fin des années 90, elle était prête. Elle y éclata, partout fêtée.

DIVA ASSOLUTA
Noter, comme elle le fit parfois, que les théâtres français ne lui faisaient pas d’offres intéressantes, c’est oublier qu’elle devint la fille chérie de l’Italie. Cette naissance au statut de diva assoluta accueillie partout en Italie avait commencé avec Le Comte Ory à Milan, mais s’épanouirait bientôt dans le répertoire dont les Italiens a juste titre se pensent les gardiens : le bel canto. Parce qu’elle avait ancré et mûri sa colorature dans une technique hors pair, parce qu’elle avait développé pleinement cet instrument aux couleurs ambrées, parce qu’elle avait la vraie culture littéraire sans laquelle ces personnages tendent à rester des pantins, elle fut à la pointe de cette autre Renaissance : celle d’un répertoire du XIXe siècle qu’on croyait réservé à Callas et Sutherland, auquel elle apporta une vibration neuve. Cette exploration s’étendit au répertoire français, où sa miraculeuse diction rajeunit des œuvres trop oubliées de Halévy ou Meyerbeer, et jusqu’aux abords de Verdi. Le style de sa Traviata en fait une des héroïnes de Bellini ou Donizetti. Le public toulousain a eu le bonheur d’applaudir quelques-unes de ses plus grandes incarnations. Elle est, pendant ces trente années et plus de carrière stellaire, restée la femme modeste et amicale des cours de chant de jadis. Dans le monde tel qu’il va, cela aussi est la preuve de son inaltérable intelligence, et de cette intégrité personnelle sans laquelle il n’est pas de talent véritable.

Sylvain Fort
Critique musical et essayiste


rendez-vous en salle !

mardi 2 décembre 2025

Théâtre du capitole

Annick Massis

Avec le pianiste Antoine Palloc

Annick Massis est l’une de nos plus grandes chanteuses françaises. La beauté de sa voix et la perfection de sa technique ont fait d’elle une belcantiste hors pair. Sur les plus grandes scènes du monde, elle a brillé dans plus de soixante-dix rôles majeurs.


Crédits photos

  • 1&2 : Annick Massis dans le rôle-titre de Lucrezia Borgia de Donizetti, Théâtre du Capitole, 2019. © Patrice Nin
  • 3 : Annick Massis. © Roberto Ricci