Le Retour d’Ulysse en sa patrie…
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…et des Gemelli au Capitole.
Entretien avec Emiliano Gonzalez Toro et Mathilde Etienne
Quatre ans après leur Orfeo, I Gemelli reviennent au Capitole pour une version mise en espace du Retour d’Ulysse en sa patrie, le plus chatoyant des opéras de Monteverdi. Le prestigieux ensemble baroque a été fondé par le ténor Emiliano Gonzalez Toro, son directeur musical, et la soprano Mathilde Étienne, sa directrice artistique. Les deux époux évoquent pour nous cette homérique aventure.
Comment sont nés I Gemelli ?
Emiliano Gonzalez Toro – De la fusion de nos deux énergies, de notre « gémellité » élective. Après une vingtaine d’années de collaborations avec les plus célèbres ensembles baroques, le désir est devenu de plus en plus fort d’approcher les œuvres à notre manière. En 2019, Mathilde et moi avons créé I Gemelli parce que nous rêvions de monter l’Orfeo de Monteverdi, une œuvre fondatrice pour nous et dont je voulais interpréter le rôle-titre sans dépendre de conditions extérieures. Le Retour d’Ulysse était une suite naturelle. Avec I Gemelli, nous pouvions enfin réaliser notre propre vision de ces chefs-d’œuvre.
En quoi consiste cette vision ?
E.G.T. – Dans l’Italie du XVIIe siècle, il n’y avait pas de chef d’orchestre comme nous l’entendons aujourd’hui. Il y avait évidemment une direction artistique, mais en amont. Notre hypothèse est que la représentation était le fruit d’une dynamique collective, impulsée par les chanteurs (souvent le compositeur était lui-même chanteur) et non par le continuo, contrairement à ce que l’on pense habituellement – car le continuo n’est pas directeur, mais accompagnateur. Chaque chanteur dirige à son tour, c’est lui qui a en charge la ligne mélodique, le geste déclamatoire, la dramaturgie. C’est la base du travail de notre ensemble.
Le Retour d’Ulysse frappe par sa foison de personnages, de situations, de couleurs. Comment abordez-vous cette diversité ?
Mathilde Étienne – Tommaso Stigliani, un contemporain du grand poète baroque Marino, parle du chef-d’œuvre lyrique de celui-ci, L’Adone, comme d’un « poème de madrigaux ». Le Retour d’Ulysse, comme la plupart des opéras vénitiens très inspiré par Marino, réalise cette variété qui est l’une des valeurs esthétiques fondamentales du baroque, une forme caléidoscopique et décentrée qui ménage sans cesse des surprises, une multitude d’effets agréables au public. L’Orfeo (1607) est plus architectural, mais Le Retour d’Ulysse (1640) cultive une véritable préciosité baroque, d’ossature légère, tout en feu d’artifice ! Ce type de théâtralité nous parle encore aujourd’hui parce qu’elle n’a jamais cessé d’exister ; j’en ai retrouvé les codes de la comédie antique à la commedia dell’arte, du théâtre juif d’Europe centrale au cinéma américain en passant par les sitcoms.
Quel était le public de ces opéras ?
M.E. – Orfeo a été écrit pour une académie littéraire mantouane, une élite intellectuelle nourrie de Platon, de Dante et de Pétrarque, ce qui explique sa complexité. Le Retour d’Ulysse est destiné à un parterre vénitien très mélangé, à la fois les académiciens qui produisent le spectacle et le grand public qui remplit les caisses de ces nouveaux théâtres payants. Il faut pouvoir plaire à tout le monde, d’où les nombreuses facettes de cet opéra et les clins d’œil à la fois érudits et populaires. Il y a tant de niveaux d’écoute qu’on ne s’ennuie jamais.
Parlez-nous de l’effectif orchestral…
M.E. – La contrainte économique des théâtres influençait les effectifs. La cour de Mantoue disposait de tous les moyens nécessaires, et c’est pourquoi L’Orfeo requiert une bonne trentaine de musiciens. À Venise, on faisait avec les moyens du bord, et les livres de compte nous prouvent qu’on jouait souvent avec des effectifs très maigres, comme ce fut le cas pour Le Couronnement de Poppée. Pour Le Retour d’Ulysse, c’est un peu différent : c’était le premier opéra de Monteverdi pour Venise, l’événement était très attendu, et on peut imaginer que pour cette occasion spéciale, les moyens étaient plus importants. D’ailleurs la variété formelle de l’ouvrage appelle une grande variété instrumentale.
E.G.T. – Pour notre Ulysse, nous avons un luth, un théorbe, une guitare, une harpe, deux claviers, deux violes, un lirone, un basson, une tromba marina, une basse de violon, deux violons, deux flûtes, deux cornets, et j’en oublie ! Nous associons des timbres aux différents personnages et situations : nous sommes tantôt chez les dieux, tantôt à la cour, à la plage, dans la forêt, etc. Il est passionnant de jouer avec les couleurs et de créer des décors sonores.
Beaucoup d’interprètes vocaux également ?
E.G.T. – Oui, nous avons quinze chanteurs. La partition réclame sept ou huit ténors, par exemple ! Il est important de caractériser les personnages, du bouffon au dieu, par des timbres adaptés, c’est pourquoi notamment nous confions l’allégorie de la Fragilité humaine à une voix de contre-ténor. Parmi les plus rares personnages féminins, Pénélope a un profil à part, une contralto prima donna, aux antipodes de ce qui l’entoure : dans le contrôle, la réserve, l’intériorité.
Comment s’organise la production de vos projets ?
La partition fait d’abord l’objet de plusieurs séances de travail en amont. Puis vient une période de répétitions qui débouche sur une série de concerts où nous mûrissons l’œuvre. Après quoi, nous passons en studio pour l’enregistrement, qui est partie intégrante du projet, et nous prenons du temps, car il est primordial de ne pas perdre en studio l’énergie du spectacle vivant. Ensuite, nous accompagnons la sortie du disque d’une nouvelle série de concerts. C’est ce qui va se passer pour Le Retour d’Ulysse durant la saison 23/24, une tournée dont l’Opéra national du Capitole est un partenaire essentiel. Nous nous concentrons sur un petit nombre de projets mais nous prenons le temps de réaliser au mieux notre idéal artistique.
Propos recueillis par Dorian Astor
mardi 28 novembre 2023
samedi 2 décembre 2023
Théâtre du capitole
Le Retour d’Ulysse en sa patrie
Claudio Monteverdi (1567-1643)
Malgré les assauts des prétendants au trône et à sa main, la fidèle Pénélope a attendu dix ans son époux Ulysse après la victoire sur les Troyens. À son retour, le roi d’Ithaque saura se débarrasser des importuns.