LA SOURCE VICE D’UN « WANDERER »

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LA SOURCE VICE D’UN « WANDERER »

Événement que les débuts au Capitole d’un baryton allemand de légende ! Pour l’occasion, Michael Volle a bâti le programme de son récital du 6 mars autour des lieder de Schubert et de Liszt, une traversée dans les replis les plus profonds de l’âme romantique, servie par un musicien hors pair et un orfèvre de la langue. Portrait par un fin mélomane, Sylvain Fort, que nous sommes heureux d’accueillir dans ces colonnes.

PORTRAIT DE MICHAEL VOLLE

À L’ÉCOLE DE BACH

Dans de nombreux entretiens, Michael Volle rappelle ceci : fils de pasteur, il a grandi, petit dernier d’une fratrie de huit, entouré de musique. On apprenait à jouer de plusieurs instruments, on faisait de la musique dans le salon familial, et on chantait naturellement dans les chœurs d’église. Son premier professeur de chant serait du reste un chef de chœur. Bach, Schütz, Haendel, tel fut le pain quotidien de sa jeunesse musicale. Comme aura été fécond, pour lui, ce terreau ! Ayant choisi assez tard la carrière lyrique (vers vingt-cinq ans), il a depuis abordé chacun de ses rôles comme s’il se fût agi d’une cantate de Bach. Rien pour l’histrionisme ou l’effet facile, mais tout pour la ligne vocale et pour le soin extrême du texte. Avec cela, un refus de sacrifier le sens au son. Cette voix puissante qui passe les plus grands orchestres est capable de nuances et de demi-teintes, parce que la musique passe avant toute chose. C’est cette probité sans esbroufe qui lui a permis de construire ce qui est aujourd’hui simplement le plus beau et le plus vaste répertoire de baryton qui soit, probablement sans équivalent actuel au sein du monde lyrique – de Verdi à Strauss, de Mozart à Puccini et Wagner.

BÊTE DE SCÈNE

On aimerait certes le comparer à quelques grands anciens, tant il appartient manifestement à la haute tradition des barytons allemands chantant aussi bien Brahms que Wagner (le créateur des Quatre chants sérieux de Brahms, Weidemann, était aussi un Hans Sachs pour Bayreuth). Mais quelle référence convoquer ? Qui a chanté aussi bien Falstaff que Wotan (et pas seulement celui de L’Or du Rhin !), tout en étant suprême dans le Requiem allemand et
capable de Danilo dans La Veuve joyeuse ? Janssen ? Hotter ? Fischer-Dieskau ? Volle appartient sans doute à cette prestigieuse lignée, mais il s’en distingue aussi, et il est absolument lui-même. Possédant comme de naissance l’éthique musicale qui fait la noblesse du chant, il a su aussi faire grandir en lui ce qui le rend immédiatement reconnaissable, et même unique : c’est une bête de scène. Il faut le voir, Hans Sachs éblouissant d’aisance et de sagesse, Wotan fatigué mais menaçant, Falstaff débraillé et inquiétant. Ce n’est pas sous les voûtes des églises du Bade-Wurtemberg qu’il a appris cela, mais en comprenant sur les
planches comment utiliser son énergie physique presque illimitée, comment faire de son corps de chanteur un corps d’acteur, comment jeter dans le brasier théâtral tout ce qu’on peut y jeter, sans s’y consumer soi-même.

De là un agenda où se briseraient les plus vaillants, qui le voit enchaîner les rôles les plus pesants du répertoire allemand, des Puccini éprouvants (Scarpia, où il est stupéfiant de morgue et de force, ou Jack Rance, qui semble écrit pour lui), des Verdi difficiles (il chante même la basse du Requiem !). Jamais on ne le verra s’économiser, négocier la dépense, retenir les chevaux – et cependant, toujours, dans chacun de ses rôles, des merveilles de subtilité, un phrasé toujours tenu, une voix qui reste franche, sonore, d’un métal clair, capable d’épouser les détails de partitions qu’aucun de ces grands compositeurs n’avait réservées à des stentors brouillons.

LE CHANT COMME RAPPORT AU MONDE

Et le voici qui, entre deux de ces crucifiantes performances, revient au lied et au chant sacré, dans des salles de petites dimensions, dans des églises baroques comme celles qui parsèment son sol natal. Il y chante comme il chante à Bayreuth ou au Metropolitan Opera : avec une totale intégrité. Il revient sans cesse à l’origine de sa vocation. Est-ce pour vérifier qu’elle est toujours pure et intacte ? Le répertoire s’en tient aux essentiels. Ici un Voyage d’Hiver de Schubert, là des Brahms automnaux, parfois Hugo Wolf, aussi. Quelle surprise alors. Les immenses moyens vocaux se concentrent. La stature du chanteur-acteur se fait humble et presque discrète.

On pourrait penser la voix alourdie par tant de rôles écrasants, mais elle est étonnamment préservée et capable d’intimité. Les moindres nervures des lieder apparaissent parce que ce n’est plus seulement de voix ou de technique qu’il s’agit, mais bien de mémoire et de sensibilité. Volle est ici dans la plénitude de sa langue natale, en totale familiarité avec les paysages qu’il aime, et en phase avec la gravité qui souvent définit ce répertoire : qu’on n’attende nulle joliesse, mais ce sérieux qu’il met à tout, qui lui a été jeune infusé par Bach et Schütz, où le chant dit une condition humaine, un rapport au monde, avant d’être communication et spectacle.


⬅ Michael Volle dans La Walkyrie de Wagner (Wotan)
au festival de Bayreuth, 2023. © Christophe Gateau

UNE VOIX INTÉRIEURE

L’on sent alors que Volle entretient avec ce répertoire plus secret un lien puissant non parce qu’il veut se prouver à lui-même que sa voix en est encore capable, mais parce que c’est la clef même de son chant : avant d’être le « Wanderer » de Wagner sur toutes
les scènes internationales, il aura été celui de Schubert dans la chaleur de son foyer familial, sans doute son père ou un de ses frères ou sœurs au piano, comme Schubert lui-même l’avait voulu. Son imaginaire d’artiste, sa stabilité personnelle, son refus des prestiges vains de la Carrière, sa foi inaltérable en la musique, c’est là qu’ils s’enracinent, et c’est se revivifier qu’y retourner sans cesse. Écouter Michael Volle chanter Schubert (ou Brahms, ou Wolf, ou Schumann, ou Liszt), c’est approcher une source vive et en partager la fraîcheur, mais aussi l’exigeante pureté.

Demain, il se remettra en chemin, Wanderer du circuit lyrique mondial, et sera sur telle ou telle scène un Wotan, un Mandryka, un Hollandais volant, un Barak, un Don Giovanni. Et derrière chaque note, nous saurons alors mieux entendre le secret de l’artiste, sa voix intérieure, cachée derrière les costumes et les grands gestes qu’appelle la scène : elle puisera sa force et sa profondeur dans les paysages inépuisables du lied, qu’il n’a jamais quittés.


Michael Volle dans le rôle-titre de Falstaff de Verdi au Metropolitan Opera de New York, 2023. © Karen Almond / Met Opera

Sylvain Fort – Critique musical et essayiste

Rendez-vous au spectacle !

LE Jeudi 6 mars 2025

Théâtre du capitole

Michael Volle

La star des barytons enfin à Toulouse !

C’est autour de l’œuvre cruciale de Franz Schubert et de Franz Liszt que Michael Volle a bâti le programme de ce récital, une traversée dans les replis les plus profonds de l’âme romantique, servie par un musicien hors pair et un orfèvre de la langue.