Stoyanova ou la plénitude

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Stoyanova ou la plénitude

Krassimira Stoyanova est une grande parmi les grandes : la soprano bulgare est acclamée dans le monde entier pour ses inoubliables incarnations à l’opéra. Musicienne accomplie, portée par un idéal artistique d’une intégrité absolue, Krassimira Stoyanova nous révèle, le 19 janvier et pour la première fois au Capitole, son ardente sensibilité dans les bouleversants Rückert-Lieder de Mahler, un choix de lieder de Strauss et les plus belles romances de Rachmaninov. Portrait par le critique musical Laurent Barthel (dont nous accueillons avec joie la première contribution à Vivace !)

Krassimira Stoyanova ! Qui peut se targuer de n’avoir jamais eu le nom de cette artiste trop discrète sur le bout de la langue, sans parvenir à s’en souvenir ? À Vienne, où elle a beaucoup chanté, on comprend que ses amis et ses fans la surnomment aussi volontiers « Krasi ». C’est plus affectueux, et puis, surtout, c’est plus facile à retenir ! Cela dit, si son patronyme, parfois, se dérobe à notre mémoire, quiconque a eu le privilège, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, d’écouter Krassimira Stoyanova chanter en public, n’a pu que ressentir ce soir-là une émotion impossible à oublier : le charme d’une artiste aussi intrinsèquement belle et intelligente que simple, qui parvient toujours à nous toucher au plus intime.
Cette sensation d’empreinte indélébile, on a pu la raviver encore cet automne à Milan, où Krassimira Stoyanova reprenait le rôle de la Maréchale du Rosenkavalier, dans la sensible production d’Harry Kupfer qu’elle avait elle-même inaugurée au Festival de Salzbourg en 2014. Une incarnation psychologiquement si limpide que même le temps qui passe ne semblait avoir sur elle aucune prise. Certes une Maréchale dont l’absence totale de défaut pourrait presque passer pour un manque de personnalité, mais qui sait se révéler tellement proche de nous, sans aucune barrière, que chacune de ses intonations, toujours justes, jamais exagérées, nous ouvre des mondes d’émotions partagées

Krassimira Stoyanova dans Le Chevalier à la rose de Strauss (Maréchale). © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

Les secrets de cette sereine plénitude vocale, que rien ne semble menacer, même la maturité venue ? Outre des choix de carrière prudents, sans jamais se laisser imposer des rôles jugés dangereux, bien sûr un contrôle du souffle et de l’émission toujours irréprochables, mais surtout une sûreté musicale particulière, héritage patent d’un passé d’instrumentiste de haut niveau.
Car avant de se découvrir une passion pour le chant, c’est d’abord en tant que violoniste que Krassimira Stoyanova se perfectionne, à l’Académie de musique de Plovdiv, dans sa Bulgarie natale. Un violon qu’elle commence à pratiquer dès l’âge de sept ans, et dont elle jouera pendant quelques années, en début de carrière, en tant que musicienne professionnelle, au sein de plusieurs orchestres. Or rien de tel qu’un travail aussi régulier de violoniste du rang pour consolider des capacités de déchiffrage, et surtout une parfaite stabilité rythmique, qualités qui ne sont pas, et de loin, celles que l’on trouve le plus communément chez un chanteur d’opéra. Stoyanova en est d’ailleurs la première consciente : « Lorsque j’ai commencé à chanter, cette solide base musicale m’a vraiment aidée. Cela signifiait que je lisais des notes de la même manière que je lis des mots. C’est devenu une seconde nature pour moi ».


Si Krassimira Stoyanova a pu assimiler au fil des années un répertoire aussi exceptionnellement vaste, de Gluck et du bel canto jusqu’à Richard Strauss, en passant par Verdi, Puccini, Dvořák, Tchaïkovski, voire un nombre conséquent de raretés (La Juive, La Battaglia di Legnano, Il Guarany, Dimitrij, Die Liebe der Danae…), c’est bien du fait de cette sécurité technique parfaite, qui lui a même permis d’oser certaines prises de rôle dans des conditions d’improvisation qui auraient pu en décourager bien d’autres. Dont cette Aida longtemps prudemment évitée, et puis finalement affrontée crânement en 2015, à Munich, après les quelques répétitions seulement accordées pour une soirée de répertoire, et face à – excusez du peu ! –, Jonas Kaufmann, lui aussi débutant en Radamès.
« Lorsque je suis émue par un rôle, j’aime que le public le soit aussi » affirmait Krassimira Stoyanova au cours d’un entretien accordé en 2011 à Opéra Magazine. Et effectivement, du Staatsoper de Vienne, qui l’a nommée Kammersängerin en 2009, à Milan, Munich, Paris (assez tard, et trop peu), Salzbourg, Londres et New York, Krassimira Stoyanova peut se vanter d’avoir laissé partout toujours le même sillage d’émotions. En scène, mais aussi, ne l’oublions pas, en concert, au cours d’interprétations du Requiem de Verdi à donner le frisson (impossible de ne pas s’y laisser happer par son « Libera me », sincérité qui nous fait entrevoir à chaque fois des abîmes), ou de soirées de lieder et mélodies aux programmes artistement composés, en plusieurs langues, y compris parfois celle de son pays natal.
« Vous l’avez compris : je crois profondément à la dimension spirituelle de l’art lyrique » affirmait Krassimira Stoyanova au cours de ce même entretien. Et, impossible, à nous aussi, quand il nous est accordé la chance de l’écouter, de ne pas y croire !

Laurent Barthel
Journaliste et critique musical,
rédacteur à Opéra Magazine et sur concertonet.com

Rendez-vous au récital !

dimanche 19 janvier 2025

Théâtre du capitole

Krassimira Stoyanova

Récital accompagné par la pianiste Vyara Schuperlieva