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D’Adalgisa à Norma

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D’Adalgisa à Norma

Karine Deshayes mène une fabuleuse carrière. Grande rossinienne, elle a interprété Rosina et Cenerentola sur de très nombreuses scènes. Chez Mozart, elle a été Zerlina dans Don Giovanni et Cherubino dans Les Noces de Figaro, puis, dans ces mêmes ouvrages, elle est devenue respectivement Donna Elvira et la Comtesse. Cinq ans après sa flamboyante Adalgisa dans Norma, elle revient à Toulouse pour s’emparer du rôle-titre, en conclusion d’une année rythmée par ce rôle. L’artiste, qu’on sent épanouie, se confie à Vivace ! après la série de Norma donnée à Marseille.


Entretien avec Karine Deshayes

Commençons par l’essentiel pour une artiste lyrique : sa voix. Vous présentez-vous toujours comme une mezzo-soprano ?

Depuis le XIXe siècle, on a l’obsession des classements. Je me suis toujours considérée comme « soprano 2 », c’est-à-dire une soprano qui se sent bien dans le médium. Être désignée tantôt soprano, tantôt mezzo-soprano, cela ne me dérange pas. À la grande époque dont je suis admirative, il n’y avait pas d’étiquette : on disait la Colbran, la Malibran, la Viardot, la Falcon, parce que justement c’étaient des voix spécifiques. Dès qu’une chanteuse a une voix longue – et c’étaient des voix longues, qui montaient au contre mi-bémol, et descendaient jusqu’au fa grave ! –, les gens sont un peu déstabilisés. Je suis toujours entre les deux, et je préfère penser que l’étiquette ne compte pas.

Première Adalgisa en 2008, puis, chez Bellini, surtout des Romeo de Capuleti e Montecchi. Retour à Adalgisa en 2016, puis en 2019 à Toulouse et à Moscou, jusqu’à une dernière fois en 2023 à Hambourg, non sans avoir éprouvé le rôle de Norma en version concert à Aix-en-Provence en 2022 ! Et nous vous voyons désormais Norma épanouie en 2024 et 2025 : Strasbourg, Marseille, Bordeaux et enfin Toulouse. Pourriez-vous nous raconter votre aventure avec ces deux rôles ?

Concernant la grande place de Romeo et la longue absence d’Adalgisa entre 2008 et 2016, c’est d’abord parce que I Capuleti e i Montecchi était bien plus souvent programmé. Norma revient au goût du jour : tant mieux ! C’est il y a dix ans qu’on m’a demandé pour la première fois si j’envisageais le rôle-titre. J’avais dit non, parce qu’effectivement le rôle est lourd ; le finale du deuxième acte est un tunnel, et je pensais que je n’avais pas cette résistance. Mais depuis, j’ai beaucoup appris, surtout en écoutant mes partenaires. J’ai beaucoup observé la façon dont elles géraient le rôle.

Et en 2022, vous vous sentiez fin prête pour Norma ?

Oui, je crois bien ! J’avais abordé Elvira dans Don Giovanni, puis Valentine dans Les Huguenots de Meyerbeer, avec des tessitures plus tendues. Dans Valentine, il y a dix contre-ut ; dans Norma, si on fait la reprise de la cabalette, il y en a onze : voyez, j’en suis à compter les aigus ! (rires) Adalgisa en a beaucoup moins. Il y a donc une grande différence d’endurance entre les deux rôles, et le fait qu’Adalgisa ne sollicite pas autant les aigus la distingue de Norma, même si l’étendue couverte est comparable. J’ai lu le rôle de Norma une première fois avec mon professeur, ce que je fais avant d’accepter toute prise de rôle, et j’ai constaté que je trouvais la résistance nécessaire, c’était bon signe. Bien sûr, Adalgisa a ses difficultés. Mais une fois passé le deuxième duo, on est tranquille ! (rires) Alors que Norma a encore une demi-heure de finale au deuxième acte, très exposée. Adalgisa n’en est pas moins un rôle magnifique, et si on me le demande à nouveau, j’accepterai !

C’est en revanche Norma qui est sans doute le personnage le plus riche de contrastes, n’est-ce pas ?

Absolument. Il y a la femme blessée, il y a la guerrière, la druidesse, la femme amoureuse… pléthore de sentiments ! Elle va jusqu’à envisager un infanticide ! Dieu merci, elle recule, mais il y a cette part de folie à ne pas oublier. De ce point de vue, elle est moins proche de moi, mais la blessure dans l’amour, on l’a tous connue. Quant aux jeux de pouvoir, je les trouve très intéressants : dans une civilisation antique patriarcale, cette femme-là a du pouvoir, c’est exaltant !

Quand s’achève une représentation de Norma, comment vous sentez-vous ?

Éprouvée, émue. À la fin, je pleure vraiment ! Cette fin, musicalement, est extraordinaire. Il y a quelque chose chez Bellini qui me fait pleurer, comme à la fin de I Capuleti e i Montecchi d’ailleurs

Quatre Norma en moins d’un an : étiez-vous enthousiaste à l’idée de passer autant de temps avec la prêtresse gauloise entre 2024 et 2025 ?

Je n’en revenais pas. Cela aurait pu faire beaucoup, car j’aime varier les rôles, mais en même temps, c’est une chance ! Qui plus est, trois fois avec Anne Delbée à la mise en scène. Anne s’adapte vraiment à la personnalité de ses interprètes. Elle m’a par ailleurs donné confiance dans ma façon de jouer mon personnage. Il y avait pour elle une évidence à ce que je joue Norma, à un moment où je me demandais encore si j’étais légitime à aborder ce rôle. Je pensais à Maria Callas, Montserrat Caballé… quelles références ! Mais il faut accepter de ne pas les copier, et se rappeler qu’il y a eu un grand nombre de Norma très différentes… Anne m’a accompagnée dans ce chemin.

Difficile de parler de Norma sans parler de « Casta Diva », l’air fameux entre tous. Comment l’abordez-vous ? On parle souvent d’un faux air de facilité…

C’est vrai ! Faux air de facilité d’abord parce qu’il est précédé d’un grand récitatif très vindicatif, et que l’interprète doit enchaîner avec quelque chose de complètement éthéré. J’ai un peu dérouté certains auditeurs par ma façon d’aborder « Casta Diva » : piano, pianissimo. Mais c’est ce qui est écrit. C’est une prière, on ne va pas hurler à la lune ! Puis vient la cabalette, qui, elle, est agitée. C’est pourquoi je cherche dans l’air quelque chose de très dolce. Il demande notamment une gestion du souffle incroyable.

C’est là une des caractéristiques du Bel Canto… quelles sont les spécificités de cette école du beau chant ?

Un peu à l’image de « Casta Diva », cela doit paraître facile, alors que ça ne l’est pas du tout ! Le Bel Canto, c’est d’abord une maîtrise technique, une conscience aigüe de son instrument. Chez Bellini et dans Norma, il faut savoir tout faire : les trilles, les sons filés (enfler et désenfler la même note), les vocalises rapides, etc. Dans une cabalette, si on la double, il faut aussi savoir l’ornementer, ce qu’on fera en mettant en avant les atouts de sa voix. Il faut avoir une voix vraiment malléable en somme, au service de la beauté du chant, et de l’émotion du public. Toute cette musique est tellement bien écrite

En alternance avec votre distribution, Eugénie Joneau fera ses débuts en scène dans Adalgisa, à un âge assez proche du vôtre lorsque vous débutiez dans ce rôle : un conseil ?

Je n’ai pas vraiment de conseil à donner à Eugénie parce que j’adore ce qu’elle fait. Je ne peux donc que lui recommander de se faire plaisir dans ce rôle, car il est évident qu’elle va se régaler !

Propos recueillis par Jules Bigey, Adjoint à la direction artistique de l’Opéra national du Capitole

Crédit photo : Karine Deshayes dans le rôle d’Adalgisa, Norma 2019-2020, Théâtre du Capitole © Mirco Magliocca


Rendez-vous pour l’opéra !

Du 26 mars au 7 avril 2025

Théâtre du capitole

Norma

Vincenzo Bellini

C’est dans la mise en scène somptueuse de la tragédienne Anne Delbée que cette production de légende a triomphé en 2019 sur notre scène. Karine Deshayes, la plus grande belcantiste française, était alors Adalgisa. Avec elle aujourd’hui, une Norma est née, comme celle, en alternance, de Claudia Pavone, bouleversante Traviata en 2023.