Une soirée, trois chorégraphes.
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Pour les fêtes de fin d’année, le Ballet de l’Opéra national du Capitole vous invite à découvrir les univers de trois grands maîtres du XXe siècle : Serge Lifar, Jerome Robbins et Jiří Kylián. Soirée magique en perspective, et un large éventail de la danse néoclassique : de ses débuts fondateurs avec Lifar au Kylián des années 80/90, dont l’univers échappe déjà à toute classification, en passant par Robbins, le génial chorégraphe de West Side Story.
Serge Lifar
Ou la danse comme destin
La vie de Serge Lifar (1905-1986) est de celles qui vous obligent à croire en la toute-puissance du destin. Rien ne le vouait à la danse et cependant, il est devenu l’un des plus talentueux danseurs, chorégraphes et théoriciens de la danse du XXe siècle et l’un des chefs de file du néoclassicisme chorégraphique. Issu d’une famille bourgeoise de Kiev, qui considérait le théâtre comme un lieu de perdition, Serge Lifar découvre la danse, par hasard, un jour de 1921. C’est la révélation ! Bronislava Nijinska le trouve trop âgé pour débuter la danse classique et le refuse dans sa classe. C’est sans compter avec la pugnacité de l’adolescent qui passe outre et s’inscrit d’autorité comme élève. En 1923, le destin frappe encore à sa porte. Désormais installée à Paris, Nijinska télégraphie à Kiev pour demander les cinq meilleurs danseurs masculins afin de compléter la troupe des Ballets Russes de Diaghilev. Lifar ne figure pas sur la liste mais, l’un de ses camarades étant introuvable, il prend sa place et rejoint la prestigieuse troupe à Paris. Beau comme un dieu, combatif, débordant d’idées, d’un ego démesuré, il plaît tout de suite à Diaghilev. Très vite, Lifar devient soliste puis Premier Danseur. Cette exceptionnelle aventure s’arrête avec la mort de Diaghilev, le 19 août 1929. Mais Serge Lifar est décidément favorisé par les dieux. Jacques Rouché, alors directeur de l’Opéra de Paris, propose à George Balanchine de créer une nouvelle œuvre pour instiller du sang neuf dans le Ballet de l’Opéra. Balanchine tombe gravement malade et c’est Lifar qui le remplace. Les Créatures de Prométhée ont un tel succès qu’il est nommé Directeur de la Danse de l’Opéra de Paris. Au cours de ses deux mandats (1930-1945 et 1947-1958), il redonne une discipline à la troupe, relève le niveau technique, rénove et élargit le répertoire, réhabilite la danse masculine… et développe son style néoclassique, point de fusion des techniques classique et moderne. Ce faisant, il ressuscite la compagnie moribonde et en fait une des meilleures du monde. Il meurt à Lausanne en 1986.
Né à New York, le 11 octobre 1918, dans une famille de juifs russes émigrés, Jerome Robbins, de son vrai nom Jerome Rabinowitz, fut un danseur, un chorégraphe et un metteur en scène de renommée internationale. Tout le monde connaît West Side Story mais peu de gens savent qu’il en est le génial chorégraphe. Après des études de chimie qu’il délaisse, il se tourne vers les arts du spectacle, étudiant les danses classique, moderne, espagnole, orientale, l’art dramatique (notamment avec Elia Kazan) et la musique (piano et violon). Il débute la scène comme acteur en 1937, avec le Yiddish Art Theatre, puis comme danseur en 1939. En 1940, il entre au Ballet Theatre (le futur American Ballet Theatre) que viennent de fonder Richard Pleasant et Lucia Chase. En 1944, il y crée sa première chorégraphie, Fancy Free, sur une partition de Leonard Bernstein. Le succès colossal de ces trois marins en goguette le place d’entrée au premier rang des créateurs américains et lui ouvre les portes de Broadway et de Hollywood. Dès lors, Robbins mène de front ballet, comédie musicale et cinéma. En 1949, il intègre le New York City Ballet, tout nouvellement fondé par Lincoln Kirstein et George Balanchine. C’est là qu’il confirmera ses talents de chorégraphe, devenant l’un des éléments moteurs de la compagnie et l’un des très grands créateurs de l’histoire de la danse. Son style se caractérise par une extrême musicalité, une grande fluidité de mouvement, des portés souvent périlleux, beaucoup de raffinement, d’élégance et de naturel. La base de son langage demeure la technique classique qu’il aime à détourner avec ironie ou poésie. Dans une sorte de manifeste publié en 1945, il affirmait que les chorégraphes américains devaient créer en fonction de leur propre expérience, afin que le ballet, « vieux comme les cours royales d’Europe mais encore jeune en Amérique », concerne un large public. Si la danse est bien l’art du XXIe siècle, comme l’avait prédit Maurice Béjart, Robbins y est sûrement pour beaucoup. Il est décédé le 29 juillet 1998, à New York, à l’âge de 79 ans.
Jerome Robbins
Le génie aux mille facettes
Jiří Kylián
Le maître
Né à Prague, le 21 mars 1947, Jiří Kylián est sûrement l’un des plus talentueux chorégraphes vivants et l’une des figures les plus importantes de la danse actuelle. Auteur de plus d’une centaine de ballets, il n’a de cesse, à travers ses chorégraphies, d’approcher au plus près l’être humain, de le questionner, depuis 53 ans qu’il crée des œuvres pour les danseuses et danseurs du monde entier. Comme le dit le journaliste de danse Gérard Mannoni : « Jiří Kylián pourrait n’avoir bâti au fil des ans qu’une œuvre monochrome ou trop orientée vers une esthétique unique. Il n’en est rien. Bien au contraire… ». Certes, son œuvre ne suit pas de ligne directrice fixe, choix qu’il assume pleinement, mais elle n’a jamais cessé d’évoluer et de se renouveler depuis plus d’un demi-siècle. Réputé pour son humanité dans le travail, mais aussi pour sa rigueur et son exigence, il dit lui-même « aimer à retrouver dans la danse les fondements et les mouvements les plus élémentaires du comportement des gens. » C’est dans la technique classique, dans la modern dance américaine, dans la danse populaire, dans le mouvement naturel qu’il puise son style inimitable tout de fluidité et empreint de poésie, d’onirisme, d’épure, d’images fulgurantes et, chose rarissime dans la danse, d’humour, parfois très grinçant. Ce qui lui plaît par-dessus tout, c’est jouer de la confusion entre réel et illusion théâtrale. Impossible de parler de Jiří Kylián sans évoquer l’aventure du Nederlands Dans Theater de La Haye (NDT I) dont il a fait, pendant 34 ans, l’une des meilleures compagnies au monde, à laquelle il adjoindra, avec Carel Birnie, NDT II (compagnie Junior) et en 1990, NDT III (compagnie pour des danseurs « entre 40 ans et la mort »). Mort qu’il tentera d’exorciser dans une de ses premières pièces, Return to a Strange Land, un hommage à John Cranko, l’un de ses maîtres, trop tôt disparu. Ce « Pays étrange », c’est « celui d’où nous venons, mais que nous ne reconnaissons pas lorsque nous y retournons, au moment de notre mort, car nous ne l’avons jamais appréhendé avec notre conscience ». Tout Kylián est là, dans ce voisinage entre poésie, gravité et nostalgie
DU 21 au 31 DÉCEMBRE 2023
Théâtre du capitole
Feux d’artifice
Lifar / Kylián / Robbins
Au gré d’une succession de petites études chorégraphiques, Serge Lifar établit les pas et les gestes néoclassiques qui deviendront sa signature, faisant de Suite en blanc un feu d’artifice de technique et de style de l’école française. Avec Sechs Tänze, Jiří Kylián brosse six tableaux plein d’humour, de cocasserie et d’inventivité. Il y distille l’idée que « nos vies ne sont que des répétitions générales en vue de quelque chose de plus profond et de plus éloquent… ». Dans The Concert, pièce à l’humour ravageur, Jerome Robbins prend un malin plaisir à illustrer les fantasmes des auditeurs d’un récital de piano. D’abord compassé, le récital s’achève en un délire onirique et surréaliste.